Dès l’aube levée, après une nuit sans sommeil, Abel alla embrasser ses enfants qui dormaient à poings fermés. A bientôt pensa-t-il.
Il passa voir Marie qui vivait une fin de grossesse compliquée et épuisante et qui devait rester alitée autant que faire se peut. Il alla dans la réserve, prit quelques conserves, du pain, son tabac et un litre de vin qu’il glissa dans son havresac. Il prit le minimum de vêtements, l’Armée lui fournirait bien le nécessaire. Il étreignît une dernière fois Radegonde :
- Ne t’inquiètes pas pour moi, tout va bien se passer et je t’écrirai autant que possible. Il faudra que toi aussi tu m’écrives souvent me donner des nouvelles de la ferme, de la famille et de Denis. Sa dernière lettre nous disait qu’il était quelque part en Belgique. Je me renseignerai sur le 32éme de ligne et je m’arrangerai pour le retrouver. Je prends quelques francs pour acheter de quoi t’écrire et je me contenterai de ma solde pour plus tard.
Radegonde ne savait pas quoi répondre, mais son regard en disait long.
- Allez mon épouse, je pars pour Châtellerault, avec un peu de chance, tout se finira bientôt….
Il prit Radegonde dans ses bras, quelques larmes coulèrent encore et Abel prit la route. Il ne se retourna pas, il quitta la ferme d’un pas décidé pour ne montrer aucun signe d’hésitation mais au fond de lui, il doutait énormément de la réussite de cette initiative.
Il passa au bourg pour acheter tout le nécessaire d’écriture et en profita pour se procurer le journal de la Vienne, il voulait se tenir informé des actualités de la guerre et les nouvelles étaient plutôt bonnes : « La France était invincible, que les Français avaient fait neuf dixième du travail, et que les Français ont écarté de la guerre toutes les fanfaronnades et ont tout subordonné au désir d’obtenir un résultat, tandis que l’Allemagne remplissait l’air de ses vantardises et de ses menaces ». Abel n’avait pas tout compris à ces grandes phrases, mais tout cela sentait bon la victoire ! Paraitrait même que le fils du Kaiser avait été blessé par un obus !
Puis il quitta le village, coupa à travers champ, s’arrêta chez son cousin carrier à Lavoux chez qui il prit un repas, rapidement sans donner de détail sur son voyage.
Un agriculteur l’emmena sur quelques kilomètres dans sa charrette et il arriva le soir à Châtellerault, harassé par sa journée. Il se rendit dans un hôtel près de la mairie et réserva une chambre. Au diner, il prit le temps de ressortir son journal et le lit, il vit que la rubrique « tombés au champ d’Honneur » était bien remplie par les informations fournies par les familles. Maudite guerre, salaud de boches marmonna-t-il….
Puis il s’effondra sur son lit, sortit un carnet qu’il avait acheté et commença à griffonner :
Lundi 30 novembre : Je suis arrivé à Châtellerault, demain j’irai m’engager à la mairie. Mes chers enfants, ma chère épouse, ce carnet sera le témoin de ma guerre. Je m’en vais protéger Denis et venger Jacques et Louis.
Si vous trouvez ce carnet, merci de l’envoyer à ma femme Radegonde Dubois, le Pré Caillé à Tercé….
<-- Episode précédent : Abel s'en va-t'en guerre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire